André et Yvonne se croisant un soir de mai dans la rue d’Izly, à Alger. Elle dira de lui qu’il était très beau, grand et mince, si différent des autres dans ce manteau en chevrons beiges si bien taillé. Il fumait d’un air un peu crâne sur le trottoir d’en face et elle ne voulait pas traverser sans avoir rencontré son regard bleu et vif, sans qu’enfin il l’accompagne dans le brouhaha de la rue. Elle dût lui rendre son lumineux sourire, l’émotion fonçant un peu ses joues hâlées de sportive. C’était en 1937, elle était élève sage-femme, lui, avait étudié le droit et sciences-po à Paris et fait l’Ecole de Cavalerie de Saumur. Puis il y eut ce réveillon de 1938 à Intaya, près de la Pérouse dans ce café restaurant qui surplombait la mer. Yvonne en voiture avec ses amis Georges et Madeleine, passant devant le café des Facultés, Georges y voit André en terrasse, l’interpelle et l’invite à se joindre à eux. Le voilà qui s’engouffre dans l’auto et se place à l’arrière, à côté d’Yvonne, dans son parfum et les pans de sa robe rose. La guerre éclata, ils pensaient qu’elle serait courte. André partira comme officieravec les Spahis, à cheval… Je me souviens du récit de la défaite, celui qu’il fit devant mon magnéto-cassettes, j’avais onze ans et je lui avait demandé de me raconter la guerre, pour l’école, pour le devoir de mémoire. Il avait parlé d’une voix brisée par l’émotion, inaudible. Nous étions seuls dans la salle à manger, porte fermée et moi si jeune et si gênée devant cette douleur que je ne pouvais entendre et ses larmes. Il disait qu’il avait perdu presque tous ses hommes, son bras droit arraché par une mitrailleuse allemande, l’amputation, puis le si long voyage en train, jusqu’à l’oflag IVD – à Hoyerswarda en Silésie. Sur un tabouret que ses camarades avaient trouvé pour lui. Il apprit à écrire de la main gauche en recopiant le seul livre qu’il avait conservé, un ouvrage de Mauriac. Je l’imagine, opiniâtre, s’exerçant à retrouver le délié naturel de son écriture initiale, ne donnant aucunes nouvelles tant qu’il n’avait pas obtenu satisfaction, afin de cacher à tous la nouvelle de ce bras coupé. Deux mois plus tard, Yvonne reçut une lettre mais elle ne disait pas la blessure et comme l’écriture était celle d’avant, elle n’en su rien. Il ne m’a jamais rien dit du camp juste qu’ils étaient mieux traités que les autres prisonniers, parcequ’ils étaient officiers. Ils mangeaient pas mal de pelures de pomme de terre
Enfin un premier train rapatriant les grands blessés partit du camp. Ils passèrent par la Suisse, les habitants leur offraient du chocolat. Il n’en fut pas de même en France, ils furent ignorés, les vaincus, et puis les spahis c’étaient des arabes, la France, lâche. Episode de soins à Nîmes et à Toulouse puis il revint à Alger, décidé à se cacher d’Yvonne, ne voulant ni l’accabler, ni lui ficher la vie en l’air avec son infirmité, il aurait voulu se réengager Mais Yvonne le retrouva et découvrant son bras mutilé lui dit : ce n’est qu’un bras ?, elle s’attendait à bien pire… même manquant, il ne m’empêchera pas de t’aimer.
Quand je te lis, j’ai juste envie de créer un espace ouaté, sans aspérités et où les tiennes ne s’accrochent pas. Qu’ils sont beaux, André et Yvonne! Tu écris si bien leur histoire, que j’avais l’impression de voir un film. Merci >
Merci beaucoup Izabel pour ton si gentil message. Oui ils étaient beaux !
J’ai des frissons partout… Ton ėcriture est envahissante. J’aime ça!
Merci Claudia ! 🙂