Après avoir été dépossédés de l’espace public et de l’économie, nous sommes chacun dans nos cercueils suspendus dans la ville. Je suis sortie pour acheter du vin et le ciel m’a éblouie au sortir de mon royaume. Toute la journée je me suis déguisée, fardée, parée, j’ai dansé, j’ai passé ce temps à écouter de la musique, à changer les tableaux de place, à me faire les ongles carmin, à cirer mon cuir usé aux coudes, à répondre peu aux appels, j’étais vraiment seule, un peu comme je l’ai toujours fait pour survivre aux hécatombes.
Je me souviens de ce que j’avais désiré avant Tout Ca. Je voulais Aimer et tu es venu me chercher pour m’attacher à Toi pour toujours. Je voulais une chatte qui m’accompagnerait aujourd’hui si je n’avais pas été réticente. J’aurais appris à tirer au stand et j’aurais eu envie d’une arme ou de savoir me servir d’un couteau ou d’une corde à sauter bien pliée. Toujours prête à me battre. L’effondrement est toujours un peu long à se manifester. L’Etat s’érige en Directeur suprême des Opérations et nous mène à la ruine et à la division alors que nous Citoyens pourrions nous organiser et nous entraider bien plus efficacement. Je ne voterai jamais plus. On ne m’y reprendra plus jamais.
Maintenant chaque jour compte et je dois m’extraire du charnier. C’est très difficile de s’informer correctement, de comprendre les consignes, de faire les demandes, de se connecter, d’avoir le son en réunion, de travailler à des tâches brusquement vidées de leur sens, de recouver l’argent, de suivre les projets. Je me lève le matin saisie par l’éventail des possibles de me recoucher, de revenir prête, de m’être faite belle pour cette nouvelle journée étrange où je ne sortirai pas ni pour rejoindre personne. Mais je mets du rouge à lèvres et Opium comme avant pour descendre la poubelle.