Je ne suis pas allée considérer l’ampleur des décombres. Notre Dame je la vois toujours debout. Ses flancs, son dos, son épine, je ne sais pas, c’est moins que l’ampleur de sa façade qui tient depuis toute ma vie. Mon enfance à jouer dans ton square, à m’ennuyer dans l’odeur de pisse de chat des buis, à jeter des graviers sur les bateaux mouches et leurs stupides touristes, à envisager de tomber dans la Seine et d’être secourue par une de ces grandes bouées rouges et blanches qui n’existent plus. Notre Dame je t’ai emmenée partout pour te présenter aux petits sauvages du monde entier qui ne te connaissaient pas. Je faisais de toi un dessin imparfait mais correct pour leur présenter Paris et aussi les marchés du dimanche. Paris c’est ça, Notre Dame et les marchés, les quais, l’odeur de souffre du métro, les crottes de chien sur les trottoirs, les ivrognes du Quartier Latin, les amoureux qui s’embrassent sur les bancs, toutes sortes de gens qui sont venus de si loin pour toi. Aujourd’hui j’ai honte de Paris. Je souffre de lui, de sa saleté, des invités qui le pourrissent, des travaux incessants qui le labourent et qui ne lui laissent aucune paix, aucun temps pour se faire. J’ai honte de ses bidonvilles et que tout ait été supprimé de la chose publique. Dispensaires, bains douches, petits prix, tolérance, bancs publics, miséricorde, grâce qu’on accordait aux pauvres, loyers modérés, squats, fêtes, Pigalle, les putes, le bruit de la nuit, les bagarres d’hommes ivres, les femmes qui chantent. Je ne partirai pas. Je ne te fuirai jamais pour une banlieue paisible ou cette province où je mourrai. Paris me saigne, tarit l’argent qui file entre mes doigts comme un sable, Paris m’épuise et me révulse mais je l’aime sans doute plus que toute la France.