Millais – Ophélie
(…) La table voisine est occupée par une noyée, une jeune fille, une belle fille, non encore disséquée, nue, débarrassée du sable qui veloutant sa peau faisait d’elle une grande rose des sables, une fleur désertique. Des mondes infinis pullulent dans ses entrailles. Ses hontes, ses fautes, ses chagrins n’existent simplement plus. Mais elle, la voici, échouée sur la faïence comme sur une roche plate, la voici, les muqueuses dilatées par l’eau, vidée de tout son sang peu à peu exsudé à travers le derme que les courants ont râpé et mis à nu, la voici veuve de ses ongles, nixe des boues fluviales, algue blanche chargée d’adipocire, de cette mortuaire stéarine, la voici sortie des ondes, rendue à la lumière, abandonnée, la voici… (…)
Gabrielle Wittkop
Extrait de « Chaque jour est un arbre qui tombe »