TitaBlogskaïa

Les enfants rêveurs

In Uncategorized on 25 août 2013 at 9:01

Pourquoi la vie me ramène-t-elle encore à toi, comme un paradis perdu s’obstinant à me ravoir, comme un fantasme des heures coulées à rôder entre tes pierres et ta lumière et les fruits que tu m’offres maintenant, alors que je ne suis plus la même et que je ne te connais plus. Je vais te dresser un autel, mon pays perdu, je vais faire ce dernier voyage et puis je te quitterai à ma façon, je pourrai faire le deuil de cet arrachement, je t’aurais enfin dit au revoir, j’aurais baisé ton sol une dernière fois. Je suis à nouveau installée dans le camping-car. Nous roulons. J’aime ça, rouler, me déplacer. J’ai encore huit, neuf, dix, onze ans. Je parle encore de l’Iran. Ta nostalgie a fait rejaillir la mienne. Je te parle encore du fond de ma colère fossile, de mon grand chagrin sans coupables. Je te parle de la zone de transit, je te parle au parloir. Je suis une souris avec deux grandes dents devant, au milieu le bonheur, mais bientôt je porterai des bagues. Je suis longue et maigre. Un instituteur qui m’aimait bien m’appelait La sauterelle. C’était comme s’il m’avait dit que j’étais belle. J’étais un peu mystique, je rôdais autour d’une icône que j’ornais de roses et de bougies qui parfois s’oubliaient, alors tout brûlait. Nous jouions à la guerre et à ses cortèges de malheurs, On dit qu’on avait été chassés, il aurait fallu fuir, On aurait marché dans la nuit en portant nos enfants, nous nous serions réfugiés chez un couple de vieux paysans, dans la montagne, ils nous auraient Cachés… Nous roulons. Notre père conduit. Il fume et j’aime l’odeur de l’allumette souffrant la première bouffée. Il fume et je suis du regard le point incandescent de sa cigarette, fixe ou bien volant aux commandes. J’avale la route comme un ruban hypnotique, je m’endors près des petits frères, le rideau claque contre la fenêtre, je suis bien, demain nous croiserons des cavaliers farouches menant des troupeaux ou des mariées turkmènes scintillantes comme des mirages. Nous roulons. Mes cheveux sont emmêlés, je suis comme une nomade, mon petit bracelet luit à mon poignet, nous croisons d’autres nomades, nous partageons des biscuits, du lait, un marché, l’ombre et l’argent des peupliers. La beauté des choses, je monte à leur firmament, nous traversons des déserts que je sens déjà miens, je choisis les couleurs que toujours je porterai, je serai d’ici et d’ailleurs, nous roulons. Où sommes-nous ? Qu’est devenue notre maison noyée dans les hauts platanes ?

 

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